LE PARISIEN MAGAZINE. Arnaque immobilière en Thaïlande
Des Français se déchirent à l’autre bout du monde autour d’un projet immobilier. D’un côté, des familles qui ont commandé la maison de leurs rêves pour vivre une retraite dorée. De l’autre, un promoteur qui encaisse les acomptes sans livrer aucune villa.
Leur rêve d’une vie douce et confortable sur l’île de Phuket, en Thaïlande, s’est évaporé. Leurs économies aussi. « Je suis venu ici pour vivre mieux qu’en France, prendre du bon temps… Mais je ne dors plus et je me retrouve obligé d’aller au tribunal ! » s’étrangle Philippe, englué dans ce qu’il dénonce comme étant une arnaque immobilière manigancée par un compatriote, Patrice S. L’affaire prend mauvaise tournure pour Patrice S., 51 ans, homme d’affaires installé en Thaïlande depuis une quinzaine d’années, qui affiche sa réussite au volant de voitures haut de gamme.
A l’instar de Philippe, ses clients le poursuivent un à un en justice après qu’il a encaissé plus d’un million d’euros pour la construction de plusieurs villas jamais livrées. Il fait l’objet d’au moins sept procédures ouvertes au tribunal de Phuket, dont deux au pénal. Philippe, justement, a dégainé l’artillerie lourde en saisissant la justice pénale. Le 19 novembre, intimidé mais déterminé, il a pris place dans la salle d’audience du tribunal de l’île pour obtenir le remboursement de ses économies volatilisées. « J’irai jusqu’au bout », grondait-il deux jours après ce premier rendez-vous judiciaire.
Un ensemble de 26 villas d’au moins 250 000 euros
Après des vacances régulières en Thaïlande pendant une dizaine d’années, Philippe avait développé un attachement de plus en plus fort au pays, et choisi d’y investir pour préparer sa retraite. « J’avais sélectionné ce projet parmi dix autres », raconte-t-il, le visage avenant, mais déformé par la colère. Et de revenir sur la genèse de ses mésaventures : « C’était le meilleur projet, avec une belle qualité de matériaux. Je m’y connais, je travaille dans le bâtiment depuis vingt-cinq ans. » En février 2016, il signe pour une maison de 115 mètres carrés avec piscine, dans un jardin d’une surface équivalente, le tout pour près de 250 000 euros, dans le lotissement de luxe élaboré par Patrice S. Un ensemble de 26 villas vendues chacune entre 250 000 et 500 000 euros (entre 10 et 20 millions de bahts, la monnaie nationale).
Design, high-tech et entièrement ouvertes sur la piscine et le jardin privés, elles ont de quoi séduire… Du grand standing dans un havre de paix moderne et sécurisé, à Rawaï, paisible bourgade au sud de Phuket, prisée des expatriés et retraités français qui y posent leurs valises pour s’offrir une vie dorée. « Méfiant » par nature, Philippe négocie un acompte réduit : « 15 % au lieu des 35 % que Patrice S. demandait. Ce qui faisait quand même plus de 37 000 euros ! Et je me souviens très bien que le jour où je les ai donnés à ce monsieur, il s’est commandé une moto BMW vintage, du même prix ! Je lui ai dit en plaisantant : “J’espère que tu ne paies pas ta moto avec mon argent.” » De retour en France, Philippe comprend au fil des mois et des coups de téléphone sans réponse que quelque chose ne tourne pas rond et débarque à Phuket « pour voir ». « Eh bien, j’ai vu ! Il n’y avait rien de fait. Mon sang n’a fait qu’un tour, j’ai déposé plainte. » En lieu et place de la villa dans laquelle il devait théoriquement emménager dans les premier mois de 2017 : la jungle.
« Vengeance froide »
L’état du chantier, divisé en trois tranches, laisse douter de son achèvement. A l’exception des six premières maisons, inachevées, les villas n’existent que sur le papier. Fin 2016, aucune des demeures de la première parcelle, qui auraient dû être livrées depuis un an, n’est terminée. Palettes et sacs de sable traînent sur une terrasse en chantier, des briques restent empilées, les échafaudages sont encore montés.
Hormis les cabanes des ouvriers dressées au fond du terrain, la zone de la seconde phase de construction n’est qu’une immense étendue de terre retournée. Alors que les huit maisons de cette parcelle devraient elles aussi être achevées. Quant à la troisième zone de construction, celle où devrait se trouver la villa de Philippe, notamment, c’est le néant.
La retraite dorée à Phuket, Gérard et son épouse en rêvaient aussi. « On voulait se la couler douce ici… c’est raté », confie ce jeune retraité, qui a payé cash en février 2015 la villa de 250 000 euros qu’il devrait occuper depuis un an. « On a investi nos économies, on voulait profiter de la vie », reprend-il, dépité. Mais Gérard a « la vengeance froide » et attend de voir Patrice S. condamné et même… emprisonné.
Engagé lui aussi dans une procédure judiciaire contre le promoteur, il a obtenu le versement de pénalités, et le tribunal a ordonné la livraison fin janvier 2017. « On n’y croit pas », reprend Gérard, qui a découvert à ses dépens les particularités des lois immobilières thaïlandaises. Si sa maison lui était livrée, il ne serait pas automatiquement propriétaire du terrain… d’autant que ce dernier serait hypothéqué depuis la signature du contrat de vente. « On s’est fait embobiner. Un homme qui manipule à ce point, c’est un escroc, c’est tout. »
« Tous les chantiers sont en retard... »
Dans le bar chic et cosy qu’il possède à Rawaï, mitoyen d’un restaurant et d’un hôtel dont il est également propriétaire, Patrice S. se montre ulcéré d’être soupçonné d’escroquerie. Calme et posé, il balaie les accusations. « Oui, le chantier est en retard… Tous les chantiers sont en retard. Ces gens qui ont lancé des procédures se sont monté la tête. Il y a une cabale contre moi, je suscite des jalousies parce que mon projet est beau, avec des matériaux de qualité pour un prix normal », explique-t-il avec sérénité.
Ainsi, ses convocations devant le tribunal ces dernières semaines ne l’inquiètent pas, assure-t-il. Sauf peut-être celles qui concernent les procédures pénales intentées par Philippe et au moins un autre client. « Une affaire criminelle, ce n’est pas facile, ici, pour un étranger. Parfois, je me réveille la nuit », reconnaît-il. Ces poursuites pourraient lui valoir une peine d’emprisonnement.
« La prison, c’est ce que je lui souhaite, appuie une autre cliente qui a également déposé plainte. Nous avons été arnaqués, résume cette femme qui a versé plus de 100 000 euros d’acompte au printemps dernier pour une maison fantôme. Nous avons perdu confiance quand il a cessé de répondre à nos appels, et après avoir découvert que le terrain de notre maison était hypothéqué. » Alors, au tribunal de Phuket où elle était interrogée en décembre dernier, elle a détaillé les agissements du « malfaiteur » qui a « abusé de sa confiance », dit-elle.
Un ancien collaborateur parle de « pratiques opaques »
Très connu à Phuket, Patrice S. a « une réputation terrible », confie un de ses anciens collaborateurs, évoquant les « pratiques opaques » de cet homme qu’il dit « malhonnête » et guidé par « la folie des grandeurs » : « Il a encaissé les acomptes (de son projet immobilier) et acheté ses restaurants », lance-t-il. « Je les loue, se défend l’intéressé. On dit aussi que je vais disparaître avec l’argent ! Mais ma vie est ici. Je suis incapable de vivre en prenant l’argent sans construire. Je tiens à ma réputation et je travaille honnêtement », tranche Patrice S., avant d’évoquer… le lancement d’un nouveau projet immobilier.
Article original : Le Parisien Magazine
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